Barcarolle
Je n’étais rien – pas même un
futur en attente
Offert à l’air marin ;
Je n’étais pas une île aux fiertés insultantes :
Non, je n’attendais rien.
Vient l’homme et son charroi – colonie de Vénètes
Fuyant devant les Huns ;
Il s’installe ? Eh bien, soit ! C’est un marché
honnête :
J’existe pour quelqu’un.
J’ai souffert sans un mot qu’on creusât ma lagune
Pour tracer des canaux ;
Leur Doge m’épousait chaque année – et chacune
J’acceptais son anneau.
Je souffre des forêts aux bois d’essence rare
S’enfonçant dans ma peau
Pour que l’or byzantin, le marbre de Carrare
S’élèvent sur mes eaux.
J’ai ouvert tous mes ports aux vaisseaux mercantiles
Et j’ai fermé les yeux
Quand la guerre a pourvu aux fastes inutiles
Des palais déjà vieux.
On a tout pris de moi sans jamais rien me rendre,
Mais je suis de ces lieux
Que l’on viole en passant, où tout est bon à vendre,
Et tout est pour le mieux.
Pourtant ne croyez pas que j’aie haï ces hommes :
Non, je les ai aimés ;
J’ai vu leurs vies se faire et se défaire comme
Ces palais abimés.
Ils ont appris de moi la leçon douloureuse
Du temps qui est compté ;
Leur ville porte encor les marques amoureuses
De mon avidité.
A présent je suis vieille et les marées m’appellent.
Vous qui m’avez aimée du temps que j’étais belle,
Mes amants inconstants,
Resterez-vous un peu sur cette île qui sombre,
Serez-vous avec moi quand la mer et les ombres
Me diront qu’il est temps ?
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Reconquista
Ici tu trouveras l’encens, la myrrhe et l’or ;
Le soleil
ruisselant sur les voutes diaphanes,
La paix dans les
patios et le cri des gitanes,
Et les azulejos
dont le bleu chante encor.
Bien sûr, ils sont
partis les vrais conquistadors ;
Le passé se fait
loin et la beauté se fane ;
Le sacré se replie
sous les regards profanes,
Et les mots sont
usés qui parlaient des trésors.
Mais il vit dans
ces rues, l’artisan Mudejar !
Le Maure et le
Chrétien, au Real Alcazar
Avaient fondu leurs
rêves en un seul avenir !
Aujourd’hui nos
seigneurs font la guerre, et l’on tremble :
Ce passé qui nous
parle, est-il donc à venir ?
Alphonse X,
reviens ! Et fais-nous vivre ensemble !
Le passé se nourrit aux vieux ocres de Sienne.
Les
âmes de milliers d’artistes au fil des ans –
Qui
n’avaient pas honte, eux, d’être des artisans ! –
Y
hantent les palais : à chaque œuvre la sienne.
Les
fresques rayonnaient d’aveuglante fraîcheur,
Exposant
mon cœur nu au regard des madones,
Et
soudain j’ai eu honte – qu’est-ce donc que l’on donne
Aujourd’hui
quand on crée ? L’adresse des tricheurs ?
Eux,
ils donnaient leurs vies, tout simplement – leurs vies !
Trésor
patient de foi, d’amour, de joies, d’envies
Qui
se transfigurait au travail de leurs mains !
C’est
ainsi que naissaient ces beautés sans rivales
Et
c’est à ce seul prix que nous pourrions, demain,
Retrouver
le secret des couleurs médiévales.
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Toulouse
J’ai suivi mon amour qui
remontait la trace
Ancienne des pas qu’elle avait déposés
Sur le pavé des rues, le marbre des terrasses,
Au creux de l’ocre rouge, au long de l’or passé.
La ville s’est peuplée des
souvenirs épars
D’une enfance voulue comme la seule vraie,
Un foyer où grandir, et d’où un jour on part
En se disant « Qu’importe le vent – je vivrai ».
Y as-tu retrouvé ces maisons dont tu rêves,
Et qui toujours t’échappent et dont tu sais pourtant
Qu’elles sont ton chez-toi, ton repos et ta trève ?
As-tu trouvé la paix, mon amour, sous les arches,
Aux vieux murs Toulousains, antiques patriarches,
Qui semblaient pour toi seule attendre si longtemps ?
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La Bonne Mère
Elle veille en silence et regarde en rêvant :
Elle voit la
lumière à ses pieds qui s’enlace
Aux ruelles du
port, aux platanes des places,
Et qui danse aux
soupirs d’une esquisse de vent.
Elle veille en
rêvant ; elle écoute en silence
Au matin la criée
des pêcheurs en maillot
Qui montrent
fièrement leurs flamboyants joyaux
Cependant que leur
barque au repos se balance.
En silence, en rêvant,
elle écoute, elle veille,
Caressant du regard
les toits de tuile vieille,
Les têtes des
minots qui s’enfuient en riant ;
Elle rêve en
silence, elle veille et regarde
Par-delà les ors
blancs des hauteurs de La Garde
Vers l’or brun du
Panier, ses ocres souriants.
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